L'adultère du Mort (The Dead Will Cuckold You)

Translation of Clark Ashton Smith by Patrick Rodrigue

Drame en six actes



PERSONNAGES : ·
Smaragad, roi de Yoros ·
Reine Somelis ·
Galeor, poète errant et joueur de luth, invité de Smaragad ·
Natanasna, nécromancien ·
Baltea, servante de Somelis ·
Kalguth, assistant nègre de Natanasna ·
Sargo, trésorier du roi ·
Boranga, capitaine des gardes du roi ·
Servantes, dames de la cour, courtisans, gardes et chambellans

SCÈNE :



Faraad, capitale de Yoros, en Zothique

ACTE I

Une grande chambre dans la suite de la Reine, dans le palais de Smaragad. Somelis est assise sur un trône. Galeor se tient devant elle, tenant un luth. Baltea et plusieurs autres femmes sont assises sur des divans à une certaine distance. Deux chambellans noirs se tiennent en attente devant la porte ouverte.

Galeor (chantant et jouant de son luth) : Dépêche-toi et ne t'attarde point, ô jeunesse ardente, de trouver dans la nuit, soulignées de feu fumant, les traces de pas de la déesse Ililot. Sa bouche et ses yeux rendent jolis les ruisseaux du sommeil. Entre ses sourcils une lune nous voyons. Un luth magique la précède partout de sa musique sauvage. Ses bras ouverts, qui sont les portes d'ivoire de quelque monde perdu où le vin coule d'autels charmés, se refermeront sur toi sous l'étoile pourpre.

Somelis : J'aime la chanson. Dis-moi, pourquoi chantes-tu tellement à propos d'Ililot?

Galeor : Elle est la déesse que tous les hommes vénèrent dans le pays doux comme la myrrhe d'où je suis né. Est-ce que les hommes de Yoros ne l'adorent point eux aussi? Elle est douce et gentille, ne se préoccupant que de l'amour et du bonheur des amants.

Somelis : Elle est une déesse plus sombre ici, où le sang se mêle trop souvent à l'écume tiède des délices. Mais dis-moi en davantage de cette terre lointaine où un culte plus paisible subsiste.

Galeor : Au bord d'une mer aux reflets changeants il se trouve, et il a des berceaux de cèdre évidé en guise de lit d'amour et est entrelacé de vignes aux fleurs vermeilles. Il s'y trouve des pâturages couverts de mousse où vagabondent des chèvres au pelage blanc; et des plages sablonneuses mènent dans des cavernes où la marée a laissé des coquillages empourprés qui ressemblent à des lèvres ouvertes par la passion. À partir de petits havres les pêcheurs inclinent leurs grandes voiles d'un brun terne vers les îles où niche l'aigle marin au cri strident; et lorsqu'ils reviennent au coucher du soleil, la proue plongeant presque dans l'eau, des feux brûlent, alimentés par les ponts et les mâts des galères échouées sur le sable, aux flammes nacrées autour desquelles les femmes exécutent une danse folklorique aussi vieille que l'océan.

Somelis : J'aurais voulu naître dans un tel pays et non en Yoros.

Galeor : Je souhaite pouvoir marcher avec vous un soir le long des eaux striées d'écume languissante et voir Canopus s'embraser, tel un phare lointain, sur des rochers couverts de cyprès.

Somelis : Sois plus implicite : il y a des oreilles qui écoutent et des bouchent qui bavardent parmi ces salles. Smaragad est un roi jaloux. (Elle s'écarte, car à ce moment le roi Smaragad pénètre dans la pièce.)

Smaragad : Voilà une jolie scène. Galeor, tu sembles à l'aise dans les chambres des dames. On me dit que tu distrais la reine plus que ne peut le faire un vieux roi triste et ennuyeux devenu vieux trop jeune en raison d'une royauté onéreuse.

Galeor : Je voudrais faire plaisir, avec mes pauvres chansons et mon luth désolé, à chacune de Vos Majestés.

Smaragad : En effet, tu chantes vraiment avec douceur, comme le fait le simorgh lorsqu'il s'accouple. Tu possèdes une voix qui ferait fondre les organes vitaux d'une femme et qui les ferait se précipiter en toute hâte vers les écluses brûlantes de la passion. Depuis combien de temps es-tu ici?

Galeor : Un mois.

Smaragad : Cela fait une complète lune d'été. Avec combien de mes chaudes courtisanes as-tu déjà couché? Ou devrais-je plutôt te demander combien d'entre elles ont couché avec toi?

Galeor : Aucune, et je le jure par les cornes de croissant d'Ililot elle-même, qui nourrit l'amour et accélère le pouls des amants.

Smaragad : Ma foi, je voudrais officialiser une telle continence, cela est rare en Yoros. Même moi, lorsque j'étais jeune, j'ai plongé profondément dans la débauche et l'adultère. (Se tournant vers la reine.) Somelis, as-tu du vin? Je voudrais que nous buvions à une chasteté si rare et admirable chez quelqu'un dont les années ont difficilement pu le rendre chaste. (La reine indique une aiguière d'argent posée sur un tabouret en compagnie de gobelets du même métal. Smaragad tourne le dos aux autres et verse du vin dans trois gobelets, ouvrant, comme s'il s'agissait d'une coutume, la paume de sa main libre au-dessus de l'un d'eux. Il donne ce dernier à Galeor. Il en sert un autre à la reine et porte le troisième à ses lèvres.) Vois, je t'ai servi de ma main royale, te faisant honneur, et nous devons tous boire à Galeor afin qu'il persévère dans la vertu, et il doit boire avec nous. (Il prend une profonde gorgée. La reine porte le gobelet à ses lèvres, mais goûte à peine au vin. Galeor lève son gobelet, puis s'arrête, contemplant le vin.)

Galeor : Il mousse si étrangement.

Smaragad : En effet, de telles bulles semblent remonter comme si elles provenaient des lèvres d'un homme en train de se noyer en quelque mer d'un pourpre sombre.

Somelis : Votre humour est étrange, il n'y a pas de bulles dans la coupe que vous m'avez donnée.

Smaragad : Peut-être avait-il été versé plus lentement. (À Galeor.) Bois le vin, il est vieux et cordial, fait par des hommes morts depuis longtemps. (Le poète hésite toujours, puis vide son gobelet d'un seul trait.) Quel goût a-t-il pour toi?

Galeor : Il goûte comme ce que j'ai toujours pensé que l'amour devait goûter, doux aux lèvres et amer dans la gorge. (Il vacille, puis tombe à genoux, tenant toujours le gobelet vide.) Vous m'avez empoisonné, moi qui ne vous a jamais fait de tort. Pourquoi avez-vous fait cela?

Smaragad : Pour que tu ne me fasse jamais de tort. Tu a bu un cru qui étancherait n'importe quelle soif mortelle. Tu ne poseras pas le regard sur les reines ni elles sur toi lorsque les vers épais se rassembleront dans tes yeux et sortiront de tes lèvres au lieu de chansons d'amour, et te châtreront lentement, centimètre par centimètre.

Somelis (descendant de son siège et s'avançant) : Smaragad, cet acte empestera tout Yoros et flamboiera au-delà des marais boueux des damnés. (Elle tombe à genoux auprès de Galeor, lequel est à présent prostré sur le sol, mourant lentement. Des larmes coulent de ses yeux alors qu'elle pose sa main sur le front de Galeor.)

Smaragad : Représentait-il tant pour toi? J'ai presque eu idée que la corde d'arc aurait dû serrer ta gorge, mais non, tu es trop belle. Vas-t'en vite et reste dans ta chambre à coucher jusqu'à ce que je vienne.

Somelis : Je vous détesterai et mon cœur brûlant se consumera de haine jusqu'à ce qu'il ne reste que des cendres sans viande pour plaire aux vers des mausolées. (Somelis s'en va, suivie par Baltea et les autres femmes. Les deux chambellans demeurent.)

Smaragad (faisant signe à l'un des chambellans) : Va chercher les sacristains. Je veux qu'ils transportent cette carcasse à l'extérieur et qu'ils l'enterrent en privé. (Le chambellan s'en va. Le roi se tourne vers Galeor, qui vit toujours.) Pense à ta continence devenue éternelle : tu n'avais pas encore donné chair à ton désir brûlant, et maintenant tu ne le feras jamais.

Galeor (d'une voix faible mais audible) : Je devrais vous prendre en pitié, mais ce n'est pas le temps pour la pitié. En votre cœur vous portez les enfers que je n'ai jamais connus, pour lesquels les rares tiraillements dont j'ai souffert sont moins que les dards de guêpes lors de la douceur d'un après-midi avec le dernier fruit de la saison. (Rideau.)

ACTE II



La salle d'audience du roi. Smaragad est assis sur un trône à la double estrade, un garde tenant un trident se tenant de chaque côté. Des gardes sont postés à chacune des quatre entrées. Quelques femmes et chambellans passent dans la salle, exécutant des commissions. Sargo, le trésorier royal, se tient dans un coin. Baltea, qui passe par là, s'arrête pour bavarder avec lui.

Baltea : Pourquoi le roi tient-il audience aujourd'hui? Est-ce quelque sujet touchant l'État ? Un tonnerre silencieux alourdit son front et une colère tenue en laisse menace d'exploser dans son comportement.

Sargo : Il s'agit d'un sorcier, un certain Natanasna, qui doit comparaître pour avoir pratiqué une infâme nécromancie.

Baltea : J'ai entendu parler de lui. Le connaissez-vous? De quoi a-t-il l'air?

Sargo : Je ne puis t'en parler en détail. Ce n'est pas un sujet convenant à des commérages matinaux.

Baltea : Vous me rendez curieuse.

Sargo : Eh bien, je vais te dire tout cela. Certains croient qu'il est un cambion, un démon né du ventre d'une femme. Il est plein d'audace dans toutes les turpitudes, comme sont enclins tous ceux qui sont nés de l'enfer. Sa lignée l'a conduit sur des voies interdites et des puits détestés, de même qu'à du trafic de pures infamies insondables par le commun des mages.

Baltea : Est-ce tout?

Sargo : Selon ce que racontent les livres anciens, de tels êtres possèdent une odeur par laquelle il est possible de les reconnaître. Ce Natanasna empeste comme le placenta d'une sorcière et le mal émane de son corps, mortel comme la contagion qui suinte des cadavres mouchetés par la peste.

Baltea : Eh bien, c'en est assez pour moi, car je n'ai jamais aimé les hommes qui sentaient mauvais. (Natanasna entre par les portes centrales. Il s'avance d'un pas assuré, portant un bâton sur lequel il ne s'appuie pas, et s'arrête devant Smaragad.)

Sargo : Je dois à présent m'en aller.

Baltea : Et je ne m'attarderai pas, car le vent souffle d'un quartier malade. (Sargo et Baltea s'en vont, dans des directions différentes.)

Natanasna (sans s'agenouiller ou même s'incliner) : Vous m'avez appelé?

Smaragad : Oui. On m'a dit que tu pratiquais des arts interdits et que tu tenais un commerce illégal, appelant des démons maléfiques et les morts à ton service. Ces choses sont-elles vraies?

Natanasna : Il est vrai que je peux appeler à la fois lich et ka, sans toutefois invoquer leur âme, laquelle vagabonde dans des régions situées au-delà de mes limites, et que je peux contraindre les génies des divers éléments à exécuter mes tâches.

Smaragad : Quoi! Tu oses l'avouer. La chose qu'hommes et vilains abhorrent? Ne connais-tu point les anciens châtiments décrétés en Yoros pour ces crimes détestables? Le chaudron d'asphalte en ébullition pour y baigner les pieds des hommes ainsi que le support garni de clous sur lequel leur peau ébouillantée est étirée?

Natanasna : Je connais en effet vos lois, et je sais aussi que vous avez une loi qui interdit le meurtre.

Smaragad : Que veux-tu dire?

Natanasna : Je ne veux rien dire d'autre que ceci, que vous, le roi, avez rempli plus de tombes que moi, le nécromancien hors-la-loi, ai jamais vidées, et ne détestez pas pour rien l'invocation des morts. Voudriez-vous que j'invoque ici pour qu'il témoigne contre vous l'ombre grise de Famostan votre père, assassiné dans son bain par le poisson de Taur aux dents venimeuses, procuré en privé et mis en place par vous? Ou préféreriez-vous plutôt contempler votre frère Aladad, abandonné sur vos ordres par ses chasseurs avec une lance brisée afin de confronter le chat des marais qu'il avait à peine égratigné? Néanmoins, ceux-ci seraient seulement les hérauts de cette longue suite sombre que vous avez précipité dans la mort.

Smaragad (se levant à moitié de son siège) : Par tous les enfers encrassés, tu oses une telle insolence? Que tu sois homme ou diable ou les deux, je vais t'écorcher et laisser ta peau pendouiller en autour de toi en bandes comme un kilt, et je vais extraire tes entrailles et les étendre sur une corde.

Natanasna : Ces mots sont comme l'écume sur un étang peu profond. Aucun doigt humain ne peut me toucher. Je peux agiter ce bâton et m'entourer de cercles de hautes flammes nées de l'arcane de l'espace ambiant. Vous me craignez et vous avez raison. Je connais tous les secrets des actes et des pensées bruyantes qui font de votre âme une caverne où nichent des serpents aux anneaux étroits. Dites-moi, n'y avait-il pas hier soir un jeune homme nommé Galeor, qui joua du luth et chanta, faisant de la musique paisible pour une cour maléfique? Pourquoi l'avez-vous assassiné? Ne fût-ce point en raison de votre crainte de l'adultère, croyant qu'il plaisait trop à la jeune Somelis? Mais cette chose est connue de moi, et je sais de plus où se trouve la morne tombe dans laquelle Galeor attend le ver.

Smaragad (se tenant debout, ses traits contorsionnés par la folie) : Hors d'ici! Hors d'ici! Hors de ma présence! Hors de Faraad! Et voici des mots pour te motiver : lorsque tu as pénétré dans cette salle, mes officiers ont trouvé ta demeure et ont enlevé Kalguth, ton néophyte nègre pour lequel tu éprouves le curieux penchant que je garderais plutôt pour une charmante jeune fille d'ébène. Penses-y bien : Kalguth doit présentement reposer dans notre geôle la plus humide. Il te rejoindra si le soleil de demain te rencontre hors de la cité. Si tu t'attardes, je le livrerai à mes tortionnaires nerveux.

Natanasna : Roi Smaragad, si jamais il arrive malheur au jeune Kalguth, l'enfer se lèvera et balayera entièrement votre palais avec des balais enflammés et des fléaux de feu. (Natanasna s'en va. Rideau.)

ACTE III



La nécropole de Faraad. Des cyprès mourants et à moitié décomposés se penchent sur des pierres tombales crevassées et des mausolées en ruines. Une lune gibbeuse brille à travers des nuages effilés. Natanasna arrive, fredonnant : Un vampire édenté s'émeut et marmonne et s'affaire sur un ancêtre à la peau de cuir, mais il s'envolera bientôt vers l'abattoir et le sang ruisselant où les porcs coincés sont morts. (Kalguth émerge de derrière la porte à moitié sortie de ses gonds d'une tombe située tout près. Il transporte un sac sombre qu'il dépose aux pieds de Natanasna.)

Kalguth : Mes salutations, ô Maître.

Natanasna : Il est bien que je t'aie envoyé m'attendre ici parmi les morts tacites - te tirant de ton sommeil à l'aube matinale alors que seuls des ivrognes ivres morts se trouvaient à l'extérieur. Comme je l'avais prévu, le roi a pris avantage de ma présence commandée dans ses salles et a envoyé ses chiens pour te flairer. Il n'osera pas me harceler, moi qui s'est élevé trop haut dans la hiérarchie des sorciers, mais lâchera sa mauvaise humeur déçue sur quelqu'un qui n'est pas pleinement armé et protégé par les arts magiques. Nous devons fuir Yoros au plus vite, la laissant à ses nombreux diables, parmi lesquels le roi n'est pas le moindre. (Il s'arrête et regarde autour de lui parmi les tombes et les cryptes.) C'est une terre où le meurtre a apporté beaucoup de travail pour la nécromancie, et il nous reste avant de nous en aller une tâche à accomplir qui nous rendra inoubliables. Je vois, mon bon Kalguth, que tu as trouvé l'endroit que mon familier aux yeux de hibou m'a décrit : là-bas poussent les cyprès jaunâtres que la mort a nourris, et ceci est la tombe du seigneur Thamamar, laquelle t'a dissimulé aux yeux des mortels durant toute la journée. Vois où elle porte, dissimulée par le lichen, la légende de ses titres et son nom lui-même, à moitié disparu. (Il fait quelques pas aux alentours, examinant attentivement le sol et tenant son bâton étiré à l'horizontale. Au-dessus d'un certain point, le bâton semble s'agiter violemment dans sa main, comme un bâton de sourcier, jusqu'à ce qu'il indique le bas, la pointe touchant presque la terre.) Voici la tombe qui recouvre Galeor. Le monticule a récemment été remué là et recouvert d'herbe retournée à l'envers. (Il regarde en direction de Faraad, dont les tours s'élancent indistinctement au-dessus de la nécropole. Levant ses deux bras, il croise ses doigts avec les pouces pointant vers le ciel dans le Signe des cornes.) Par ce Signe puissant, ô roi jaloux qui craint l'adultère, le meurtre ne détournera pas ta tête fière des cornes de cet opprobre : car je connais un sort par l'entremise duquel tu subiras l'adultère par les morts. (Se tournant vers Kalguth.) Passons à présent à nos cérémonies. Pendant que tu allumes les encensoirs divinatoires, je vais tracer les cercles. (Dégainant une épée courte, l'arthame magique, de dessous sa cape, il trace un large cercle sur le monticule ainsi qu'un plus petit à l'intérieur du précédent, les creusant tous deux à la fois profondément et largement. Kalguth ouvre le sac sombre et en retire quatre petits encensoirs perforés dont les poignées sont forgées dans la forme d'un double triangle, Signe du Macrocosme. Il les place entre les cercles, chaque encensoir faisant face à l'un des quatre quartiers, et les allume. Les nécromanciens prennent ensuite place dans le cercle intérieur. Natanasna donne l'arthame à Kalguth et garde son bâton magique, qu'il tient en l'air. Les deux font face à la tombe de Galeor.)

Natanasna (psalmodiant) : Muntbauut, maspratha butu [Muntbauut, esprit mauvais et lubrique], varvas runu, vha rancutu [peu importe où vagabondes-tu, écoute-moi]. Incube, mon cousin, viens, des marais et des brumes vides où rôdent les larves décolorées, par le mot de pouvoir. L'enfer tiendra sa promesse, tu auras la chose depuis longtemps perdue après laquelle tu mugis et dont tu es affamé. Porté par des ailes invisibles et noires, quitte le vide que tu détestes, pénètre dans cette tombe nouvellement ouverte, toi qui désires un corps : revêtu de la chair du mort, t'élevant de la terre fendue dans une radieuse renaissance, passe de tes anciennes voies vers une fraîche, par le mantra imposé sur toi, exécute l'acte que je t'ordonne de faire. Vora votha Thasaidona [Par (ou grâce à) la puissance de Thasaidon] sorgha nagrakronitlhona [lève-toi du royaume de la mort]. (Après une pause.) Vachat pantari vora nagraban [Le sort (ou mantra) est terminé par le nécromancien].

Kalguth : Za, mozadrim : vachama vongh razan [Oui, Maître : le vongh (cadavre animé par un démon) fera le reste]. (Ces mots proviennent de l'Umlengha, une antique langue de Zothique employée par les érudits et les sorciers. La butte se soulève et s'ouvre, et la Lich de Galeor animée par l'incube émerge de la tombe. La crasse de l'enterrement macule son visage, ses mains et ses vêtements. Elle s'avance d'un pas traînant et s'approche du cercle extérieur dans une attitude menaçante. Natanasna élève le bâton et Kalguth l'arthame, employée pour contrôler les esprits rebelles. La Lich recule.)

La Lich (d'une voix épaisse et inhumaine) : Vous m'avez invoquée et je dois pourvoir à vos désirs.

Natanasna : Suis fidèlement ces instructions : par des ruelles voilées et des poternes hors d'usage depuis longtemps, à l'abri de la lune et des regards des hommes, tu devras pénétrer dans le palais. Là, par des escaliers connus seulement des rois momifiés et par des salles oubliées par tous sauf par les fantômes, tu devras trouver la chambre de la reine Somelis et tu la courtiseras jusqu'à ce que soit fait ce que les incubes et les amants brûlent de faire.

La Lich : Vous avez ordonné et je dois obéir. (La Lich s'en va. Lorsqu'elle est hors de vue, Natanasna quitte les cercles et Kalguth éteint les encensoirs et les remet dans le sac.)

Kalguth : Où allons-nous à présent?

Natanasna : Où se rend la première route qui mène au-delà des frontières de Yoros. Nous n'attendrons pas que germe le grain que nous avons semé, mais nous le laisseront pour qu'il serve de leçon à celui qui aurait voué mon apprenti bien-aimé et mon serviteur aux lits dentelés de ses sombres chambres de torture. (Natanasna et Kalguth s'en vont en chantant : le voyageur frais et gras que les goules ont intercepté dans l'obscurité du bois solitaire, il est parti, et de même elles feront pour aller en quête de viande dans une tombe moisie. Rideau.)

ACTE IV



La chambre à coucher de la reine. Somelis est à moitié assise, à moitié étendue sur un lit recouvert de coussins. Baltea entre dans la pièce, portant une tasse fumante.

Baltea : Avec ce vin qui conserve la chaleur de soleils disparus et ces épices au parfum de légendes apportées d'îles aussi éloignées que le matin, j'ai conçu ce grog, tiède et puissant. Je vous prie de le boire maintenant, que vous puissiez dormir.

Somelis (repoussant la tasse) : Ah, ne pourrai-je point boire le même breuvage qu'a bu Galeor et quitter ce palais où mes pas se promènent à jamais entre des ombres maléfiques et un soleil lugubre. Trop lent, trop lent est le poison qui me consume - composé de l'amour pour lui qui est mort et la répugnance que j'éprouve envers le roi.

Baltea : Je jouerai et chanterai pour vous, bien que moins galamment que Galeor chantât. (Elle prend un tympanon et chante.) Seule au sein de l'obscurité rosâtre brille de nouveau l'étoile dorée, lançant son appel tel une cloche lointaine, tombant, s'évanouissant dans la mort. Vint avec la nuit mon amant, flammes et ténèbres dans ses yeux - attiré hors de la tombe par l'amour - parti pour tous les jours sans amour - (Elle s'arrête, car des bruits de pas s'approchant de la salle se font entendre.)

Somelis : De qui proviennent ces bruits de pas? Je crains que ce ne soit le roi. (La porte est ouverte avec violence et, animée par un démon, la Lich de Galeor fait son apparition.)

Baltea : Quelle est cette chose, engendrée de la mort par l'enfer? Oh! Comme cela bave et nous regarde d'un air lubrique! Cela ressemble à Galeor, mais toutefois cela ne se peut. (La Lich se glisse vers l'avant, souriant largement, geignant et bredouillant.)

Somelis : Si tu es Galeor, parle et réponds-moi. Qui était ton ami, te souhaitant uniquement du bien dans un monde amer hostile à chacun de nous deux? (Baltea se précipite à côté de l'apparition, qui ne semble pas avoir perçu sa présence, et s'enfuit de la pièce.) Mais si tu es quelque démon ayant pris la forme de Galeor, je t'adjure à présent par le nom sacré de la déesse Ililot de t'en aller immédiatement. (Les traits, les membres et le corps de la Lich se convulsent, comme sous l'effet d'une terrible lutte contre un invisible antagoniste. Puis, par degrés, les convulsions cessent, la flamme macabre s'éteint dans les yeux du mort et sa figure prend les traits d'une confusion douce et piteuse.)

Galeor : Comment suis-je venu ici? Il me semble que j'étais mort et que des hommes m'avaient recouvert de terre sèche.

Somelis : Il y a beaucoup de mystère ici et peu de temps pour en soulever les raisons. Mais je perçois que tu es Galeor et personne d'autre, le cher et doux Galeor que je croyais mort avec tout l'amour entre nous demeuré inavoué, et cela me rend heureuse.

Galeor : Je dois être toujours mort, bien que je te contemple, que je t'entende et que je te réponde, et l'amour se précipite pour dévaler au creux de mes veines, là où la mort avait implanté son hiver maussade.

Somelis : De quoi te souviens-tu?

Galeor : De rien sauf un silence plus noir que la nuit qui semblait trop vaste pour le Temps, dans lequel j'étais à la fois lié et diffus; puis, une voix des plus arrogantes et autoritaires, me liant moi, ou un autre à ma place, pour accomplir un acte dont je ne puis me rappeler à présent. Ces choses me semblent incertaines; mais je me sens comme quelqu'un qui, dans de profondes ténèbres, a lutté contre un démon et s'en est débarrassé parce qu'une autre voix avait ordonné à ce démon de s'en aller.

Somelis : Vraiment, je pense que nous sommes à la fois en présence de magie et de nécromancie, bien que celui qui t'ait rappelé et envoyé ici l'ait fait avec de mauvaises intentions. Cela m'importe peu, puisque je suis heureuse de t'avoir, que tu sois mort ou vivant comme les hommes estiment les choses vaines. À présent, il n'y a qu'un léger problème : Baltea s'en est allée voir Smaragad, et il sera bientôt ici, souhaitant être le père d'un double meurtre. (Elle se dirige vers la porte, elle la ferme et met en place les pesantes barres de métal dans leurs massives cavités. Puis, avec un fichu brodé et de l'eau provenant d'un pichet, elle enlève la terre mortuaire de la figure et des mains de Galeor, et met ses vêtements en ordre. Ils s'étreignent. Il l'embrasse et caresse ses joues et ses cheveux.) Ah, ton toucher est plus doux que ce que j'ai jamais connu auparavant. Et pourtant, hélas, tes lèvres, tes mains. Pauvre Galeor, la tombe t'a rendu froid : je vais te réchauffer dans mon lit et dans mes bras pendant ces brefs moments jusqu'à ce que l'épée tombante fracasse les fragiles verrous du mystère et révèle ce qui se trouve de l'autre côté. (Des pas pesants approchent dans le couloir à l'extérieur et l'on entend une rumeur de voix fortes et confuses, suivie d'un bruit métallique ressemblant à celui du pommeau d'une épée frappant à la porte. Rideau.)

ACTE V



Le pavillon du roi dans les jardins du palais. Smaragad est assis à la tête d'une longue table recouverte de gobelets, de jarres de vins et de flacons de liqueur, dont certains sont vides ou renversés et d'autres encore à moitié pleins. Sargo et Boranga sont assis sur une banquette située près du pied de la table. Une douzaine de suivants et de courtisans, épuisés par leurs libations, gisent éparpillés sur le sol ou sur des banquettes et des divans. Sargo et Boranga chantent : Une goule il y avait dans les jours anciens, et elle but le sang couleur de vin sombre sans gobelet, sans jamais avoir de bouteille, directement des profondes veines de la gorge des morts. Mais nous par contre, mais nous par contre, nous boirons dans des gobelets de béryl et d'or un vin couleur de sang sombre fait par les morts dans les jours anciens. Un silence s'ensuit pendant que les chanteurs humectent leur gorge desséchée. Smaragad emplit et vide son flacon, puis le remplit de nouveau.

Boranga (à voix basse) : Quelque chose a vexé le roi ou provoqué sa colère : il boit comme quelqu'un piqué par le dipsas, dont la terrible morsure provoque une soif fatale.

Sargo : Il s'est attaqué à la plupart de nos tord-boyaux sous la table, et je suis près de le rejoindre... Cet avant-midi, il s'est longuement entretenu avec le nécromancien dont les délits ténébreux ont souillé les charniers défoncés. Peut-être cela l'a-t-il assoiffé. C'en fut assez pour moi lorsque Natanasna passa du côté du vent. On m'a dit que le roi avait demandé des encensoirs pour parfumer la salle d'audience et des porteurs d'éventails pour éventer les vapeurs nées de l'enfer et ventiler son entourage lorsque le vil mage eut quitté l'endroit.

Boranga : On dit que Natanasna et son acolyte couleur d'asphalte ont tous deux disparu, bien que personne ne sache où. Faraad perdra un os pour les rongements des bavardages. Je ne donnerais pas une dent d'oiseau-figuier ou une plume de queue d'aspic pour tous tes conjurateurs. Chantons un peu. (Ils chantent.) Il y a un voleur dans la maison, mon maître, que devons-nous faire? Il appela Towser, l'ivrogne peluché, mais Towser hurlait à la lune. (Baltea entre, essoufflée et échevelée.)

Baltea : Votre Majesté, il y a une folie lâchée de l'enfer.

Smaragad : Qu'y a-t-il? Quelqu'un t'a-t-il violé?

Baltea : Non, il s'agit de la reine, de la chambre de laquelle je suis venue à toute vitesse.

Smaragad : Eh bien, qu'y a-t-il à propos d'elle? Pourquoi l'as-tu laissée? Est-elle seule?

Baltea : Elle n'est point seule, mais a pour compagnie une chose innommable vomie directement par la mort.

Smaragad (se levant à moitié de son siège) : Que sont toutes ces circonlocutions? Une chose sans nom, tu dis? Il n'existe rien sans nom. J'aurai un mot pour ce qui t'as envoyé ici, essoufflée et échevelée.

Baltea : Eh bien, alors, il s'agit de Galeor.

Smaragad : Par les fumées secrètes de l'enfer! Il se refroidit sous terre, si mes fossoyeurs n'ont pas failli à leur tâche.

Baltea : Et pourtant il est revenu pour visiter la reine Somelis, avec des taches sombres de terre sur son front et des torches de gobelins allumant son regard torride.

Smaragad (se tenant debout) : Raconte-moi ce que tu sais, bien que je ne puisse te croire. Bien qu'il soit mort et enterré, par les cornes sombres de Thasaidon, que fait-il dans la chambre de la reine?

Baltea : Je ne sais pas comment il est venu ni pourquoi. Mais elle discutait avec lui, lui susurrant des mots aimables, lorsque je me suis précipitée pour vous voir.

Smaragad : Sargo, Boranga, entendez-vous cela? Accompagnez-moi et nous irons enquêter dans ce nid de cauchemars pour découvrir ce qui s'y trame. (Il se dirige vers la porte, suivi par les autres.) Par toutes les pestes affectant les cinq sens, il y a trop de choses qui empestent parmi ces murs ce soir... Où étaient les gardes? Je taillerai leurs oreilles avec une faucille émoussée et arroserai leurs yeux d'excréments de chameau bouillants pour un tel délit d'avoir laissé un gobelin ou un homme ou une lich tromper leur vigilance. (Rideau.)

ACTE VI



Le couloir devant la chambre à coucher de Somelis. Paraissent Smaragad, Sargo, Boranga et Baltea, suivis par deux chambellans. Smaragad tente d'ouvrir la porte de la chambre de la reine. Constatant que celle-ci ne s'ouvrira point, il y cogne avec le pommeau de son épée tirée, mais sans réponse.

Smaragad : Qui a barré cette porte? Est-ce la reine? Je jure qu'elle ne fermera jamais plus d'autre porte lorsque celle-ci sera démolie. Je clouerai la prochaine pour elle, et il s'agira de celle de sa tombe. Boranga, Sargo, amenez vos épaules, côte à côte avec les miennes. (Tous les trois appuient leur poids sur la porte, mais ne parviennent pas à la défoncer. Sargo, plus intoxiqué que les autres, perd l'équilibre et tombe. Boranga l'aide à se relever.) À vrai dire, mes fiers ancêtres ont construit ce palais et ses portes pour soutenir un siège.

Boranga : Nous avons des engins de siège dans l'arsenal, de grands béliers qui ont jeté à terre des tours imposantes et qui ont arraché les portes de cités de leurs gonds. Avec votre permission, Sire, je vais en demander un avec les hommes pour s'en servir.

Smaragad : Je ne laisserai pas une légion contempler ce qui repose étendu dans la chambre de la reine. Je ne suis pas non plus habitué à frapper sur des portes qui ne s'ouvrent point. Dans tout mon royaume ou dans le labyrinthe tortueux des tourments tourbillonnants de Thasaidon, il n'existe pas de gouffre plus sombre que cette salle fermée que la raison ne parvient pas à ouvrir, ayant plongé des murs blancs dans la folie.

Sargo : Votre Majesté, s'il s'agit bel et bien de Galeor, cela sent l'œuvre de Natanasna, qui en a rappelé bien d'autres de la tombe ou des fosses, les investissant de démons pernicieux ou souillant leur cadavre. Nous avons besoin d'exorcisme. Je vais faire venir les prêtres et accomplir les rites.

Smaragad : Je me doute fort que le nécromancien maudit responsable de ce fœtus du cimetière. Mais je ne m'en emparerai pas de ta manière ni de celle de Boranga. (Il se tourne vers les chambellans.) Ramenez-moi des fagots de térébinthe suintant de poix ainsi que de la naphte.

Boranga : Sire, que mijotez-vous?

Smaragad : Tu le verras bientôt.

Baltea : Votre Majesté, considérez qu'il y a des fenêtres auxquelles des hommes armés pourraient grimper avec des échelles, leur permettant de pénétrer dans la chambre de la reine. Elle peut être en danger face à cet intrus, qui a pris devant elle la forme d'un incube.

Smaragad : À vrai dire, je ne crois pas que celui qui a barré ce portail soit un intrus pour la reine. Ni que je sois un voleur pour pénétrer par une fenêtre. (Les chambellans reviennent, portant des poignées de fagots et des jarres d'huile.) Empilez le bois devant la porte et imbibez-le de naphte. (Les chambellans obéissent. Smaragad s'empare de l'une des torches suspendues le long du couloir et la jette dans les fagots. Des flammes jaillissent aussitôt et commencent à lécher la porte de cèdre.) Je vais réchauffer le lit de cette noire débauche qui se déroule à l'intérieur de mes murs.

Boranga : Êtes-vous devenu fou? Vous aller incendier le palais!

Smaragad : Le feu est la seule chose assez pure pour le purifier. Et pour le carburant, il ne nous manque que le nécromancien et sa calamité maudite. (Le feu s'étend rapidement aux rideaux du couloir, desquels des morceaux enflammés commencent à tomber. Baltea et les chambellans s'enfuient. Une section de la voûte en flammes s'effondre sur Sargo. Il chancelle et tombe. Incapable de se relever, il rampe en hurlant, ses atours enflammés. Un morceau de tissu incandescent met le feu au manteau du roi. Il jette le vêtement devant lui d'un geste agile. Les flammes dévorent avidement la porte et assaillent son cadre de bois pesant. La chaleur et la fumée obligent Boranga et Smaragad à reculer.)

Boranga : Votre Majesté, le palais brûle autour de nous. Il nous reste peu de temps pour nous échapper.

Smaragad : Tu m'apprends quelque chose de manifeste. Ah! les flammes bénéfiques! Elles révéleront au grand jour le secret de cette chambre dont le mystère me rend fou... Et à la fin, il ne restera plus que des cendres pour les invocations d'un quelconque sorcier.

Boranga : Sire, nous devons partir.

Smaragad : Reste tranquille. Il est trop tard pour les mots, et seuls les actes restent. (Après quelques minutes, la porte calcinée s'effondre vers l'intérieur avec ses barres chauffées au rouge. Boranga saisit le bras du roi et tente de l'emmener de force. Smaragad se libère et frappe Boranga du plat de son épée.) Laisse-moi, Boranga. Je vais y aller et tailler en pièces ces débauchés pendant qu'ils rôtissent en petits morceaux tout juste bons à nourrir les goules. (Brandissant son épée, il enjambe la porte effondrée et se précipite dans la chambre enflammée. Rideau.)

English original: L'adultère du Mort (The Dead Will Cuckold You)

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