Morthylla (Morthylla)

Translation of Clark Ashton Smith by Patrick Rodrigue

En Umbri, Cité du Delta, les lumières brillaient d'un éclat criard après le coucher d'un soleil qui n'était plus à présent qu'une étoile décadente d'un rouge de charbon, devenue plus vieille que les chroniques, plus vieille que les légendes. Plus éclatantes, plus criardes encore étaient les lumières qui éclairaient la maison du poète vieillissant Famurza, dont les chansons anacréontiques lui avaient apporté les richesses qu'il déboursait en orgies pour ses amis et sycophantes. Ici, dans les portiques, les couloirs et les chambres, les lampes étaient aussi nombreuses que les étoiles dans une voûte sans nuages. Il semblait que Famurza souhaitât dissiper toutes les ombres, exceptées celles dans les excitantes alcôves installées à part pour les amours intermittentes de ses invités.

Car ce qui alimentait de telles amours en cet endroit était composé de vins, de cordiaux et d'aphrodisiaques. Il y avait des viandes et des fruits qui redonnaient vigueur aux pulsations flasques. Il y avait d'étranges drogues exotiques qui amusaient et prolongeaient le plaisir. Il y avait de curieuses statuettes dans des niches à moitié dissimulées; et des panneaux de bois sur lesquels étaient peintes des amours bestiales, ou des amours humaines ou surhumaines. Il y avait des chanteurs embauchés de tous les sexes, qui chantaient diverses chansonnettes érotiques; et des danseurs dont les contorsions étaient calculées pour restaurer les sens usés lorsque tout le reste avait échoué.

Mais face à tous ces incitateurs, Valzain, pupille de Famurza, et reconnu à la fois comme poète et sybarite, demeurait insensible.

Avec une indifférence frisant le dégoût, une tasse à moitié vide à la main, il contemplait la foule de gala qui tourbillonnait près de lui, et détournait involontairement ses yeux de certains couples qui étaient trop impudiques ou ivres pour chercher les ombres de l'intimité pour leurs badinages. Une soudaine satiété s'était emparée de lui. Il se sentait étrangement en retrait de ce fouillis de vin et de chair dans lequel, peu de temps auparavant, il aurait plongé avec délice. Il ressemblait à celui qui se tient sur une plage étrangère, au-delà des eaux de plus en plus profondes de la séparation.

« Quelle mouche t'a piqué, Valzain? Un vampire t'a-t-il sucé le sang? » C'était Famurza, rougeâtre, aux cheveux gris, légèrement corpulent, qui s'appuyait sur son coude. Posant une main affectueuse sur l'épaule de Valzain, il se hissa en l'air avec les autres qui gravaient avec fascination les litres dans lesquels il avait l'habitude de ne boire que du vin, évitant les liqueurs violentes et droguées fréquemment préférées par les sybarites d'Umbri.

« Est-ce la colère? Ou un amour insatisfait? Nous avons des remèdes contre les deux. Tu n'as qu'à nommer ta médecine. »

« Il n'y a point de médecine contre ce qui me tourmente », répondit Valzain. « Car j'ai cessé de me préoccuper de l'amour, que celui-ci soit satisfait ou insatisfait. Je puis seulement boire le fond de chaque tasse. Et l'ennui rôde au milieu de tous les baisers. »

« Vraiment, ce qui te préoccupe est un cas de mélancolie. » Il y avait de l'inquiétude dans la voix de Famurza. « J'ai lu quelques-uns de tes derniers vers. Tu écris seulement à propos de tombes et d'ifs, de vers et de fantômes et d'amours désincarnées. De telles choses me donnent mal au ventre, j'ai besoin d'au moins un demi-gallon de vin honnête après chaque poème. »

« Bien que je ne le sus guère avant tout récemment », admit Valzain, « il y a en moi une curiosité vers l'invisible, une envie pour les choses au-delà du monde matériel. »

Famurza, de commisération, hocha la tête. « Bien que j'aie atteint plus que le double de ton âge, je suis toujours satisfait de ce que je vois et entend et touche. Les bonnes viandes juteuses, les femmes, le vin, les chants à pleine gorge de chanteurs me suffisent. »

« Dans les tonneaux du sommeil », rêvassa Valzain, « j'ai étreint des succubes qui étaient plus que de la chair, j'ai connu des délices trop intenses pour que le corps éveillé les soutienne. Ces rêves n'ont-ils point de source, autre que le cerveau terrestre lui-même? Je donnerais beaucoup pour découvrir cette source, si celle-ci existe. En attendant, il n'y a rien d'autre pour moi que le désespoir. »

« Si jeune - et déjà si épuisé! Eh bien, si tu es fatigué des femmes et que tu désires des fantômes à leur place, je peux risquer une suggestion. Connais-tu la vieille nécropole qui gît à mi-chemin entre Umbri et Psiom - à une distance d'environ trois kilomètres d'ici? Les gardiens de chèvres affirment qu'elle est hantée par une lamie - l'esprit de la princesse Morthylla, morte il y a plusieurs siècles déjà et enterrée dans un mausolée qui existe toujours, s'élevant au-dessus des autres tombeaux. Pourquoi ne pas y aller ce soir et visiter la nécropole? Cela conviendrait mieux à ton humeur que ma maison. Et peut-être que Morthylla t'apparaîtra. Mais ne me blâme pas si tu ne reviens jamais. Après toutes ces années, la lamie est toujours avide d'amants humains; et elle pourrait bien jeter son dévolu sur toi. »

« Bien entendu que je connais l'endroit », dit Valzain. « Mais je crois que vous plaisantez. »

Famurza haussa ses épaules et s'en retourna parmi les fêtards. Une danseuse souriante, aux membres et aux cheveux blonds, vint vers Valzain et lança un collier de fleurs tressées autour de son cou, faisant de lui son captif. Il brisa doucement le collier et lui donna un baiser sans ardeur, ce qui fit grimacer cette dernière. Discrètement mais rapidement, avant que les autres fêtards ne tentent de le retenir, il quitta la demeure de Famurza.

Sans autre besoin que celui d'un urgent désir de solitude, il dirigea ses pas vers les banlieues, évitant le voisinage des tavernes et des lupanars, où se pressait la population. Musique, rires et morceaux de chansons le suivaient des maisons illuminées où des assemblées étaient tenues chaque nuit par les plus riches citoyens de la cité. Mais il rencontra peu de fêtards dans les rues : il était trop tard pour les rassemblements, trop tôt pour les dispersements, des invités à de telles assemblées.

À présent, les lumières diminuaient, avec des espaces toujours grandissants entre elles, et les rues s'assombrissaient de cette nuit antique qui se pressait contre Umbri et qui aurait entièrement absorbé ses galaxies provocatrices de fenêtres brillamment éclairées de lampes avec l'obscurcissement du soleil sénescent de Zothique. À propos de telles choses et du mystère enveloppant de la mort étaient les songes de Valzain tandis qu'il plongeait dans les ténèbres extérieures qu'il trouva apaisantes envers ses yeux fatigués par la lumière.

Apaisant aussi était le silence de la route bordée de champs qu'il suivit pendant un certain temps sans se rendre compte de la direction qu'il empruntait. Puis, en quelque point de repère familier en dépit de la noirceur, il se rendit compte que la route était celle qui courait d'Umbri vers Psiom, cette cité sœur du Delta; le chemin duquel au milieu des méandres centraux était située la nécropole abandonnée depuis fort longtemps que Famurza lui avait indiqué avec ironie.

À vrai dire, pensa-t-il, le matérialiste Famurza avait en quelque sorte découvert le besoin qui se terrait au fond de son désenchantement envers tous les plaisirs des sens. Il serait bon de visiter, de séjourner pour une heure environ dans cette cité où les gens s'étaient affranchis depuis longtemps des désirs mortels, au-delà de la satiété et de la désillusion.

Une lune, s'enflant du croissant vers la moitié, se leva derrière lui alors qu'il atteignait le pied de la basse colline sur laquelle reposait le cimetière. Il quitta la route pavée et commença à gravir la pente, à moitié recouverte de buissons rabougris, au sommet de laquelle les marbres, luisant faiblement, étaient discernables. Il n'y avait pas de chemin autre que les pistes discontinues faites par les chèvres et leurs bergers. Pâle, allongée et amincie, son ombre s'avançait devant lui, tel un guide fantomatique. Dans son imagination, il lui semblait qu'il grimpait la poitrine doucement inclinée d'une géante, sertie au loin des pâles gemmes qu'étaient les pierres tombales et les mausolées. Il se surprit à se demander, au sein de cette poésie fantasque, si la géante était morte ou simplement endormie.

Parvenant à la large étendue de terre du sommet, où des ifs nains mourants disputaient aux ronces sans feuilles les intervalles de pavés recouverts de lichen, il se souvint du récit que Famurza lui avait raconté à propos de la lamie dont on disait qu'elle hantait la nécropole. Famurza, il le savait bien, ne croyait pas en de telles légendes et en avait fait mention seulement pour se moquer de son humeur funèbre. Néanmoins, comme tout poète ferait, il se mit à jouer avec l'idée de quelque présence, immortelle, adorable et maléfique, qui résidait parmi les antiques pierres tombales et répondrait aux implorations de celui qui, sans croyances positives, avait désiré en vain des visions au-delà de la mortalité.

Parmi les pierres tombales et les bas-reliefs frappés par une solitude éclairée par la lune, il parvint à un mausolée élevé, se tenant encore au centre du cimetière avec peu d'indices de ruine. Sous le mausolée, lui avait-on dit, s'étendaient de vastes caveaux abritant les momies d'une famille royale éteinte qui avait régné sur les cités jumelles d'Umbri et de Psiom durant les siècles passés. La princesse Morthylla avait appartenu à cette famille.

À sa grande surprise, une femme, ou quelque chose qui semblait en être une, était assise sur un pilier effondré aux côtés du mausolée. Il ne parvenait pas à la voir distinctement; l'ombre de la tombe l'enveloppait toujours jusqu'aux épaules. Seule la figure, luisant faiblement, était levée en direction de la lune. Son profil était semblable à ceux qu'il avait vu sur d'antiques pièces de monnaie.

« Qui êtes-vous? », demanda-t-il, avec une curiosité qui supplanta sa courtoisie.

« Je suis la lamie Morthylla », répondit-elle d'une voix qui laissa derrière elle une vibration faible et insaisissable ressemblant à celle d'une harpe s'étant brièvement faite entendre. « Crains-moi - car mes baisers sont interdits à ceux qui veulent demeurer parmi les vivants. »

Valzain fut surpris de cette réponse qui faisait écho à ses fantasmes. Néanmoins, la raison lui disait que l'apparition n'était point un fantôme des tombes, mais une femme vivante qui connaissait la légende de Morthylla et qui désirait s'amuser en le taquinant. Et pourtant, quelle femme oserait s'aventurer seule et en pleine nuit en un endroit si désolé et inquiétant?

D'une manière plus plausible, elle était une dévergondée qui était sortie pour un rendez-vous parmi les tombes. Il y avait, il le savait, certaines débauchées qui avaient besoin d'un environnement et de meubles sépulcraux afin de stimuler leurs désirs.

« Peut-être attendez-vous quelqu'un », suggéra-t-il. « Je ne voudrais pas m'imposer, si tel est le cas. »

« J'attends seulement pour celui qui est destiné à venir. Et j'ai attendu longtemps, n'ayant point eu d'amant pendant deux cents ans. Reste, si tu le souhaites; il n'y a personne d'autre à craindre que moi. »

Malgré les conjectures rationnelles qu'il avait formulées, l'excitation de quelqu'un qui, sans y croire complètement, suspecte la présence d'une chose surnaturelle se mit à ramper le long de la colonne vertébrale de Valzain.

« Je suis venu ici dans l'espoir de vous rencontrer », déclara-t-il. « Je suis épuisé des femmes mortelles, fatigué de tous les plaisirs - lassé même de la poésie. »

« Je m'ennuie moi aussi », répondit-elle, simplement.

La lune avait grimpé plus haut, jetant ses rayons sur la robe de style antique que portait la femme. Elle était coupée de très près à la taille, aux hanches et à la poitrine, avec des plis tombants volumineux. Valzain avait vu de tels costumes seulement sur de vieux dessins. La princesse Morthylla, morte depuis trois siècles, pouvait bien avoir porté une robe similaire.

Peu importe qui pouvait-elle bien être, pensa-t-il, la femme était étrangement belle, avec une touche charmante dans les cheveux aux lourdes boucles dont la couleur était indéfinissable dans la lueur lunaire. Il y avait une douceur à propos de sa bouche, une ombre de fatigue ou de tristesse sous ses yeux. Au coin droit de ses lèvres, il discerna un petit grain de beauté.

La rencontre de Valzain avec celle qui s'était proclamée Morthylla se répéta chaque nuit alors que la lune s'enfla comme la poitrine arrondie d'une titane et s'en alla une fois de plus dans le vide et la sénescence. Toujours elle l'attendait au même mausolée, lequel, elle déclara, était sa demeure. Et toujours elle le congédiait lorsque l'est prenait une couleur de cendre avec l'aube, disant qu'elle était une créature de la nuit.

D'abord sceptique, il la considéra comme une personne animée de tendances et de fantasmes macabres semblables aux siennes, avec laquelle il entretenait un badinage d'un charme singulier. Pourtant, il ne pouvait trouver à propos d'elle aucun indice de la mondanité qu'il avait suspectée : aucune connaissance apparente des choses présentes, mais une folle familiarité avec le passé et la légende de la lamie. De plus en plus, elle semblait être une créature nocturne, familière seulement avec l'ombre et la solitude.

Ses yeux, ses lèvres semblaient détenir des secrets oubliés et interdits. Dans ses réponses vagues et ambiguës à ses questions, il lisait des significations qui l'excitaient d'espoir et de peur.

« J'ai rêvé de la vie », lui dit-elle énigmatiquement. « Et j'ai aussi rêvé de mort. À présent, peut-être y a-t-il un autre rêve - dans lequel tu viens de pénétrer. »

« Moi aussi, je voudrais rêver », dit Valzain.

Nuit après nuit, son dégoût et sa fatigue se muèrent en une fascination nourrie par le milieu spectral, le silence environnant des morts, de même que son retrait et sa séparation de la cité charnelle et tapageuse. Par degrés, par alternances entre l'incroyance et la croyance, il vint à l'accepter comme étant l'actuelle lamie. La faim qu'il avait perçue en elle ne pouvait être que la faim d'une lamie, sa beauté celle d'un être qui n'avait plus rien d'humain. C'était comme l'acceptation qu'un rêveur fait de choses fantastiques ailleurs que dans le sommeil.

Avec sa foi se mit à croître son amour pour elle. Les désirs qu'il avait crus décédés recommençaient à vivre en lui, plus sauvages, plus importuns.

Elle semblait l'aimer en retour. Néanmoins, elle ne laissait paraître aucun signe de la nature légendaire de la lamie, évitant son étreinte, lui refusant les baisers qu'il quémandait.

« Un jour, peut-être », concéda-t-elle. « Mais tu dois d'abord me connaître pour ce que je suis, m'aimer sans illusion. »

« Tuez-moi avec vos lèvres, dévorez-moi que vous dites avoir dévoré d'autres amants », supplia Valzain.

« Ne peux-tu point attendre? » Son sourire était doux - et tentateur. « Je ne souhaite point ta mort si vite, car je t'aime trop bien. N'est-ce point délicieux de poursuivre nos rendez-vous parmi les sépultures? N'ai-je point trompé ton ennui? Dois-tu mettre un terme à tout cela? »

La nuit suivante, il la supplia de nouveau, implorant de toute son ardeur et son éloquence la consommation refusée.

Elle se moqua de lui : « Peut-être ne suis-je qu'un fantôme désincarné, un esprit sans substance. Peut-être m'as-tu rêvée. Voudrais-tu courir le risque de t'éveiller de ce rêve? »

Valzain s'approcha d'elle, étirant ses bras dans un geste passionné. Elle recula, disant : « Que se passerait-il si je me changeais en cendres et en clair de lune à ton toucher? Tu regretterais alors ton imprudente insistance. »

« Vous êtes l'immortelle lamie », avoua Valzain. « Mes sens me disent que vous n'êtes point un fantôme ni un esprit désincarné. Mais pour moi, vous avez transformé tout le reste en ombres. »

« Oui, je suis assez réelle à ma manière », admit-elle, riant doucement. Puis, soudainement, elle s'inclina vers lui et ses lèvres touchèrent sa gorge. Il sentit leur moite tiédeur durant un moment - et sentit la piqûre effilée de ses dents qui percèrent à peine sa peau, se retirant aussitôt. Avant qu'il ne puisse l'étreindre, elle se déroba de nouveau.

« Il s'agit du seul baiser qu'il nous soit permis pour le moment », pleura-t-elle, et elle s'enfuit agilement d'un pas sans bruit parmi les reflets et les ombres des sépultures.

L'après-midi suivant, une affaire de travail urgent et inopportun appela Valzain à la cité voisine de Psiom : un voyage bref, mais qu'il effectuait rarement.

Il passa près de l'ancienne nécropole, mourant d'envie pour cette heure nocturne où il pourrait se précipiter une fois de plus à la rencontre de Morthylla. Son baiser poignant, lequel avait soutiré quelques gouttes de sang, l'avait laissé grandement fiévreux et angoissé. Il était, tout comme cette place de tombes, hanté; et ce tourment l'accompagna jusqu'à Psiom.

Il termina ses affaires, l'emprunt d'une somme d'argent chez un usurier. Se tenant sur le pas de la porte de l'usurier, avec cette personne légèrement odieuse mais nécessaire à ses côtés, il vit une femme passer dans la rue.

Ses traits, mais non sa robe, étaient ceux de Morthylla; et il y avait même ce petit grain de beauté à l'un des coins de sa bouche. Aucun fantôme du cimetière n'aurait pu le surprendre ou le consterner plus profondément.

« Qui est cette femme? », demanda-t-il au prêteur sur gages. « La connais-tu? »

« Son nom est Beldith. Elle est fort connue à Psiom, étant riche de plein droit et ayant eu d'innombrables amants. J'ai eu une petite affaire avec elle, bien qu'elle ne me doive rien dans le présent. Souhaiterais-tu la rencontrer? Je peux facilement te présenter à elle. »

« Oui, j'aimerais bien la rencontrer », convint Valzain. « Elle ressemble étrangement à quelqu'un que j'ai connu il y a de cela fort longtemps. »

L'usurier scruta le poète avec malice. « Elle risque de ne point s'avérer une conquête facile. On raconte depuis quelques temps qu'elle s'est retirée des plaisirs de la cité. Certains l'ont vu sortir la nuit en direction de la vieille nécropole ou en revenir à l'aube naissante. Voilà des goûts étranges, me dis-je, pour quelqu'un qui est à peine plus qu'une prostituée. Mais peut-être sort-elle pour aller rencontrer quelque amant excentrique. »

« Dirige-moi vers sa maison », demanda Valzain. « Je n'aurai pas besoin que tu me présentes. »

« Comme tu veux. » Le prêteur sur gages haussa les épaules, semblant légèrement désappointé. « Ce n'est pas très loin, de toute manière. »

Valzain trouva rapidement la maison. La dite Beldith était seule. Elle l'accueillit avec un sourire triste et troublé qui ne laissa aucun doute sur son identité.

« Je perçois que tu as appris la vérité », dit-elle, « je voulais te l'avouer prochainement, car la tromperie ne pourrait perdurer plus longtemps. Me pardonneras-tu? »

« Je te pardonne », répondit Valzain tristement. « Mais pourquoi m'as-tu trompé? »

« Parce que tu le souhaitais. Une femme essaie de plaire à l'homme qu'elle aime; et dans tout amour il y a plus ou moins de tromperie. Comme toi, Valzain, je m'étais fatiguée des plaisirs. Et j'ai cherché la solitude de la nécropole, si éloignée des choses charnelles. Tu es venu toi aussi, cherchant la solitude et la paix - ou quelque spectre surnaturel. Je t'ai reconnu aussitôt. Et j'ai lu tes poèmes. Connaissant la légende de Morthylla, j'ai voulu jouer à un jeu avec toi. En le jouant, je me suis mise à t'aimer... Valzain, tu m'as aimée en tant que lamie. Ne peux-tu point m'aimer pour moi-même? »

« Cela ne se peut », avoua le poète. « Je crains de reproduire le désappointement que j'ai trouvé chez les autres femmes. Mais au moins, je te suis reconnaissant pour les heures que tu m'as données. Elles furent les meilleures que j'ai connues - même si j'ai aimé quelque chose qui n'existait pas et qui n'existera jamais. Adieu, Morthylla. Adieu, Beldith. »

Lorsqu'il fut parti, Beldith s'étendit face contre terre parmi les coussins de son lit. Elle pleura un peu; et les larmes créèrent une moiteur qui sécha rapidement. Plus tard, elle se releva assez vivement et se consacra à ses tâches ménagères.

Après un certain temps, elle retourna aux amours et aux festivités de Psiom. Peut-être qu'à la fin, elle trouva cette paix qui est accordée à ceux qui sont devenus trop vieux pour les plaisirs.

Mais pour Valzain, il n'y avait aucune paix, aucun baume pour la dernière et la plus amère de ses désillusions. Il ne pouvait pas non plus retourner aux plaisirs charnels de son ancienne existence. Ainsi, il finit par s'enlever la vie, frappant sa gorge avec un couteau effilé jusqu'à la veine la plus profonde, au même endroit où les fausses dents de la lamie avaient mordu, faisant couler un peu de sang.

Après son décès, il oublia qu'il avait péri; il oublia le passé immédiat avec toutes ses occurrences et ses circonstances.

Suivant son entretien avec Famurza, il avait quitté la demeure de Famurza et la cité d'Umbri et avait emprunté la route qui passait à proximité du cimetière abandonné. Saisi par l'envie de le visiter, il avait grimpé la pente en direction des pierres tombales sous une lune ascendante qui s'élevait derrière lui.

Parvenant à la large étendue de terre du sommet, où des ifs nains mourants disputaient aux ronces sans feuilles les intervalles de pavés recouverts de lichen, il se souvint du récit que Famurza lui avait raconté à propos de la lamie dont on disait qu'elle hantait la nécropole. Famurza, il le savait bien, ne croyait pas en de telles légendes et en avait fait mention seulement pour se moquer de son humeur funèbre. Néanmoins, comme tout poète ferait, il se mit à jouer avec l'idée de quelque présence, immortelle, adorable et maléfique, qui résidait parmi les antiques pierres tombales et répondrait aux implorations de celui qui, sans croyances positives, avait désiré en vain des visions au-delà de la mortalité.

Parmi les pierres tombales et les bas-reliefs frappés par une solitude éclairée par la lune, il parvint à un mausolée élevé, se tenant encore au centre du cimetière avec peu d'indices de ruine. Sous le mausolée, lui avait-on dit, s'étendaient de vastes caveaux abritant les momies d'une famille royale éteinte qui avait régné sur les cités jumelles d'Umbri et de Psiom durant les siècles passés. La princesse Morthylla avait appartenu à cette famille.

À sa grande surprise, une femme, ou quelque chose qui semblait en être une, était assise sur un pilier effondré aux côtés du mausolée. Il ne parvenait pas à la voir distinctement; l'ombre de la tombe l'enveloppait toujours jusqu'aux épaules. Seule la figure, luisant faiblement, était levée en direction de la lune. Son profil était semblable à ceux qu'il avait vu sur d'antiques pièces de monnaie.

« Qui êtes-vous? », demanda-t-il, avec une curiosité qui supplanta sa courtoisie.

« Je suis la lamie Morthylla », répondit-elle.

English original: Morthylla (Morthylla)

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